Témoignage d'une riveraine
Des tirs en rafale, des détonations, des coups de feu puissants, des déflagrations. A peine imaginable. Percutants. Incessants. C’est le quotidien de centaines de personnes vivant ou travaillant à proximité des deux stands de tir du lieu. Dont moi.
Quotidiennement, la région résonne au son de tirs réguliers. Il y a quelques années, c’était acceptable. Les tirs étaient moins fréquents et moins violents. Progressivement, les bruits et autres coups de feu ont augmenté en intensité et en fréquence. Les armes ont “évolué” (mot aberrant pour décrire cette situation). A ce jour, les tirs usent les oreilles, le cœur et le corps de centaines de personnes, enfants y compris, de notre région du lundi au samedi, possiblement de 8h à 22h, dans des martèlements obsédants. De plus, ne sachant pas quand il y a une pause, ou quand cela va recommencer de tirer, c’est sur le qui-vive que je (sur)vis au quotidien.
Je vis à la campagne, je travaille comme indépendante à domicile, nous avons un grand jardin, des animaux et une vie d'extérieur. Comment exprimer toute la douleur aujourd’hui de me sentir prise au piège d’un instrument de torture qui m’atteint jusque dans mon sommeil, ne pouvant échaper à ce perpétuel agacement, devenu folie.
Il y a quelques années, j’ai senti une fatigue s’installer. Des soucis de santé, inexplicables, ont commencé à apparaître : fatigue chronique, irritabilité, crises d’angoisses, perte de patience, oppressions, tensions permanentes, toutes sortes de maux liés à un corps de plus en plus enflammé, problèmes de coeur, pleurs, sensibilité exacerbée. Puis parfois désespoir et idées noires... Le sommeil a permis de donner le change pendant de longs mois. Aujourd’hui, mon corps épuisé sombre dans des cauchemars, des crises de panique parfois et des insomnies au plus profond de mes nuits. De nombreux thérapeutes, médecins et spécialistes ont été consultés, appelés au secours pour m’aider à supporter cette lente descente en enfer. Limités, chacun, par leur impuissance face à une situation de maltraitance aussi “autorisée”.
Physiquement, je ressens quotidiennement des brûlures dans mon plexus (comme un ulcère), une agitation constante, des sursauts à la moindre porte qui claque, je suis sur le qui-vive permanent et il me semble parfois sombrer dans une vie sans but et sans espoir. Pour moi qui suis de nature optimiste et énergique, vivre au centre de cette guerre, oui chaque coup de feu évoque le conflit et la mort, a drainé peu à peu mes forces les plus profondes. Tout projet est anéanti par le poids de ces tortures journalières, même la moindre invitation à notre domicile devient impossible en journée et même en soirée.
Comme un animal pris au piège, j’ai du mal à respirer dans mon quotidien. Je ne peux plus exercer mon travail car j’ai besoin de calme et de concentration. Je ne peux plus me ressourcer dans mes activités extérieures puisque le thermostat de mon stress est au plus haut et ne réussit plus à redescendre. Impossible non plus à l’intérieur, d’ailleurs, puisque les coups résonnent malgré portes et fenêtres closes. Plus moyen donc de se reposer, de se régénérer. Et le message est clair, sans régénération ni repos, c’est la vie qui peu à peu s’en va.
C’est un cauchemar, un enfer dont je ne sais comment échapper. Un moyen de torture permanent et sournois, à l’instar de la privation de sommeil ou de la goutte d’eau qui tombe sur le front du prisonnier, un geste qui semble anodin (non, une goutte d’eau ne fait pas mal, entendre un coup de feu non plus) mais qui rend fou quand il est régulier et/ou qu’il survient de manière imprévisible.
D. Z.