Article d'un médecin psychiatre
En Suisse, plus d’un million de personnes vit dans des endroits où les valeurs limites en vigueur concernant le bruit ambiant sont dépassées. Cette exposition chronique au bruit maintient le corps dans un état d’alerte permanent et porte ainsi atteinte à la santé. Les coûts sanitaires qui en résultent sont estimés en Suisse à plus de 120 millions de francs par an et sont à la charge de la collectivité
1) Sources de bruit
La plupart des personnes touchées souffrent du bruit du trafic, en particulier du trafic routier, ferroviaire et aérien. Le bruit du voisinage est également considéré comme très dérangeant. Environ deux tiers de la population suisse s’estime dérangée périodiquement par le bruit.
Une souffrance dont on ne parle pratiquement jamais est liée aux nuisances sonores des installations de tir.Les bruits de tir sont perçus comme très gênants par les riverains en raison de leur spécificité : intensité variable (certaines armes sont particulièrement bruyantes), imprévisibilité, tir en rafales, détonations, de longs horaires de 8 heures à 22 heures, 6 jours sur 7, caractère permanent sur toute l’année (sauf les jours fériés).
Un aspect psychologique fort pénible habite les riverains : un sentiment d’impuissance, de désespoir et de forte détresse. Leur témoignage : « Nous subissons et nous ne pouvons rien faire » !
2) Conséquences du bruit sur la santé
Les effets néfastes des nuisances sonores des tirs sur la santé représentent un véritable problème de santé publique.
N’oublions pas que pour le tabac les conséquences graves pour la santé ont été longtemps banalisées voir niées.
Il est urgent de protéger la population des méfaits sur la santé mentale, physique et sociale des nuisances sonores des tirs.
Il est temps d'alléger la souffrance infligée gratuitement à quelques milliers de riverains et amateurs de la nature.
Mais malheureusement, pour l’instant, il n’y a pas encore une véritable prise de conscience des conséquences graves des nuisances sonores des tirs qui touchent la qualité de vie et la santé des riverains des stands de tir et des amateurs de la nature, au niveau de l’armée, de l’opinion publique, des politiciens.
3) Le concept de stress
Hans Selye est l’inventeur du concept de stress, considéré « le mal du siècle ». Il le définit comme “l’ensemble des moyens physiologiques et psychologiques mis en œuvre par une personne pour s’adapter à un évènement”.
Il fait la distinction entre deux types de stress : le stress positif et le stress négatif.
Le stress positif (le bon stress) est la pression déclenchée par l’organisme afin de répondre à de nouveaux stimulus. Il permet de mettre notre cerveau momentanément en alerte et contribue à l’amélioration de notre concentration et de notre mémoire.
Dans quelles situations survient le stress positif ? Voici quelques exemples :
-
Durant les compétitions sportives, chez les athlètes amateurs ou professionnels
-
A l'approche d'examens ou de grands événements de la vie (mariage, naissance, etc.)
-
Au cours de la vie professionnelle (réunions importantes, prise de parole en public)
Le stress négatif (le mauvais stress) survient lorsque les exigences de la vie ou les agents stresseurs sont tellement élevés que vous vous sentez dépassé. Il est mauvais pour notre santé. Cependant, ses effets ne sont pas forcément visibles sur le moment et il arrive souvent de ne les apercevoir que sur le long terme, lorsque le stress négatif se prolonge dans le temps.
Voici quelques éléments objectifs permettant de déterminer si un stress est positif :
-
La situation de stress dure peu de temps : quelques minutes
-
Le stress ne revient pas souvent (quelques fois dans l'année tout au plus)
-
Après le moment de stress, on ressent une satisfaction, un bien être ou un moral en hausse
Et d'autres éléments révélateurs d’un stress négatif :
-
Le stress dure longtemps : plusieurs heures ou jours, pour la même cause, sans réel répit
-
Le stress survient en continu ou plusieurs fois par mois
-
Le moral est en berne, on se sent fatigué, sans entrain
-
Ce stress ne permet pas un retour à l’équilibre de l’organisme suite aux stresseurs.
-
Il engendre un état de détresse de l’organisme qui peut se traduire par des multiples perturbations des systèmes impliqués dans la réaction de stress.
Un bref rappel d’anatomie et de physiologie :
L’organisme humain a été équipé de façon à pouvoir se défendre, se protéger et s’adapter aux situations de stress. Les systèmes nerveux sympathique et parasympathique constituent le système nerveux autonome (ou végétatif) qui régule tous les processus corporels se produisant automatiquement, tels que la circulation sanguine (fréquence cardiaque, pression artérielle), la respiration, la digestion etc. C’est par leur actions opposées qu’ils contrôlent l’activité de plusieurs organes et fonctions. Le sympathique est stimulé en situation de stress alors que le parasympathique est activé en situation de relaxation, détente, sommeil. C’est comme l’accélérateur et le frein d’une voiture. Face à un « agent stresseur », l’organisme met en jeu des interactions complexes entre le système nerveux et des mécanismes de sécrétions d’hormones.
Il existe 2 types de "réponse au stress" physiologiques :
-
Le "stress aigu" qui mobilise nos ressources de façon rapide pour répondre à une agression ponctuelle
-
Le "stress chronique" qui a pour objectif de mobiliser les ressources dans la durée pour répondre à des agressions plus chroniques.
L’organisme réagit en passant par 3 phases d’adaptation : phases d’alarme, de résistance et d’épuisement. Ces réactions d’adaptation vont perturber l’équilibre physiologique interne, appelé homéostasie.
Prenons l’exemple suivant : imaginons que vous vous trouvé chez vous un samedi matin : peut-être vous lisez tranquillement sur votre terrasse, vous y prenez votre petit déjeuner, vous discutez avec vos invités ou vous faites du jardinage ou d’autres activités.
Soudainement vous entendez un fort bruit dérangeant, aversif, agressif, par exemple un tir en rafales très bruyant.
Vous sursautez, votre corps se crispe et peut-être vous ressentez même des palpitations. En cas de stress, il se passe la même chose dans le corps de tous les êtres humains, et ce depuis des millénaires.
Stress aigu : phase d’alarme
A chaque bruit qui dérange, le corps se met en état d'alerte. Le système nerveux réagit immédiatement. L’amygdale, une formation anatomique située dans le cerveau émotionnel envoie des messages chimiques qui déchaînent une cascade de réactions au niveau du cerveau et de l’organisme en général. La sécrétion prompte d’adrénaline stimule le système nerveux végétatif sympathique. La fréquence cardiaque s’accélère, la tension artérielle augmente, la respiration s’accélère et les muscles se tendent. L’adrénaline favorise l’afflux de sang et d’oxygène vers les muscles, et vers le cerveau, optimisant ainsi la vigilance. C’est la même réaction que celle où on réagit face à une situation de danger, la réaction de fuite ou de combat.
Stress aigu : phase de résistance
Plus tardivement (10 min après le facteur déclenchant), on observe une réponse au stress qui va compléter la réponse immédiate. Si la situation stressante persiste et que les tirs continuent jusqu’au soir et qu’on ne peut pas y échapper, le cerveau ordonne aux glandes surrénales la libération de cortisol, une autre hormone du stress, qui a le pouvoir d’augmenter le taux de sucre dans le sang. Cette libération de glucose fournit à l’organisme, notamment aux muscles, cœur et cerveau, l’énergie nécessaire pour lutter contre le stress : c’est la phase de résistance.
Quand l’agent stresseur s’arrête (les bruits de tir ou une situation de danger) l’amygdale stoppe la libération de cortisol et le taux de cortisol diminue progressivement. Le système végétatif sympathique se calme et l’organisme sort de l’état d’alerte. Ces mécanismes sont utiles à condition que l’organisme revienne à son état normal dans une période relativement courte. De cette manière, nos ancêtres avaient toutes les cartes en main pour survivre à une situation délicate. Un combat ou une fuite laissaient alors place à des phases de repos et de récupération.
Stress chronique : phase d’épuisement
Dans le cas où la situation stressante persiste et les bruits et les cadences des tirs se prolongent pendant des mois le stress peut dépasser les capacités d’adaptation de la personne et il devient mauvais (« stress négatif »). C’est ce qui arrive lors d’un stress chronique : l’organisme est stimulé pour tenter de maintenir l’homéostasie (l’équilibre). Le stress chronique est mauvais pour la santé, il nous affaiblit. Les chercheurs pensent que notre système de réponse au stress n’est pas fait pour être activé constamment. À la longue, il mène à l’épuisement de l’organisme. Submergé de cortisol, le système sympathique reste en état d’alerte permanent, la personne se sent sur le qui-vive, incapable de se détendre, l’équilibre interne est perturbé, les réserves en énergie s’appauvrissent : c’est la phase d’épuisement, avec ses conséquences incontrôlables (fatigue, irritabilité, baisse de l’immunité, troubles du sommeil, problèmes métaboliques, prise de poids…).
Le stress chronique est problématique
Chacun de nous connaît des moments de stress et, généralement, l’organisme parvient à s’en remettre. Les réactions au stress n’entraînent donc pas toutes des risques pour la santé. « C’est seulement lorsqu’on est constamment sous tension et qu’il n’y a plus de rythme naturel entre les phases de stress et de détente que cela devient problématique ».
Le stress chronique nuit au corps comme au mental.
4) Symptômes du stress chronique
Manifestations physiques :
-
Maux de tête
-
Vertiges
-
Problèmes circulatoires
-
Palpitations
-
Hypertension artérielle
-
Surpoids, obésité
-
Tensions et douleurs musculaires
-
Maux de ventre
-
Troubles digestifs
-
Troubles cutanées
Manifestations psychiques :
-
Nervosité, agitation
-
Irritabilité
-
Hypersensibilité
-
Anxiété
-
Angoisse
-
Fatigue, abattement
-
Sentiment de détresse et de surmenage
-
Pessimisme
-
Humeur dépressive
-
Baisse de la libido
-
Troubles du sommeil
-
Difficultés de concentration
-
Difficulté à prendre des décisions
-
Baisse de la compréhension des textes, de la mémoire et de la motivation chez les écoliers.
-
Etourderie ou difficulté à faire face à la nouveauté
-
Baisse des performances
-
Troubles de la communication
-
Tendances à l’isolement
Réaction au stress : changement de comportement
Aux manifestations physiques et psychiques du stress chronique s’ajoute la modification du comportement, qui déclenche souvent des conflits au sein du couple, de la famille et au travail : quand on est stressé, on réagit avec irritabilité et agressivité, on se montre impatient, jugeant, méfiant, on se met en retrait et on ne communique plus correctement. Les crises de colères et les actes irréfléchis sont plus fréquents. On note également des changements pathologiques des comportements alimentaires.
5) Exposition chronique au bruit et maladies
Selon les dernières études, l’excès de cortisol, est particulièrement dangereux. S’il reste trop longtemps dans l’organisme, le cortisol peut également provoquer des maladies chroniques.
Alors que le cortisol a un puissant effet anti-inflammatoire, l’excès de cortisol est responsable d’un état inflammatoire général qui touche le cerveau et d’autres organes ; les articulations, les tendons, les muscles sont également concernés (troubles musculosquelettiques).
La dépression est une conséquence fréquente tout comme des maladies psychosomatiques (ulcère, psoriasis, côlon irritable).
Les personnes touchées par le stress chronique sont susceptibles de développer un syndrome métabolique, pathologie aux nombreux symptômes : hypertension artérielle, diabète de type II, perturbation du métabolisme du cholestérol et des triglycérides, obésité. Le syndrome métabolique est lui-même un facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires.
Des maladies auto-immunes et des cancers peuvent évoluer d’une manière insidieuse.
Notre corps réagit à des bruits dérangeants en secrétant automatiquement des hormones de stress, encore plus fortement pendant le sommeil qu’en état de veille. Il en résulte une augmentation de la fréquence cardiaque et des valeurs de la pression artérielle. Des études indiquent que le bruit augmente les risques des maladies cardio-vasculaires (hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde). Des travaux de l’Office fédéral du développement territorial (ARE) montrent qu’en Suisse, les maladies cardiaques engendrées par une exposition au bruit sont à l’origine de décès prématurés.
6) Vulnérabilité individuelle au bruit
Chaque individu réagit différemment au bruit. De nombreux facteurs jouent un rôle, par exemple le type de bruit, le tempérament, l'heure du jour, l'état de santé mentale et physique, l’état de fatigue, le manque de sommeil, l’âge.
Un cliché très répandu sur les effets néfastes sur la santé des bruits de tir est que seulement les personnes hypersensibles aux bruits en souffrent.
La réalité et la mauvaise nouvelle est que notre corps secrète du cortisol même si nous avons l’impression de ne pas être dérangé par les bruits.
Donc les problèmes de santé touchent tout le monde ! Personne n’est à l’abri d’un risque plus élevé d’infarctus du myocarde et de cancer.
Chez les personnes plus sensibles aux bruits, s’ajoute une composante psychologique plus importante qui va augmenter leur mal-être et détresse. Elles auront plus de risque de souffrir des maladies psychiatriques (dépression, troubles anxieux) et des maladies psychosomatiques (ulcère, maladies dermatologiques, côlon irritable).
Définition de la santé selon OMS
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ». Il n'y a donc pas que les symptômes pouvant être objectivement constatés sur le plan physique qui soient considérés comme atteintes à la santé, mais aussi les perturbations subjectives du bien-être dues au bruit.
En plus des manifestations psychiques du stress chronique un phénomène de « hypersensibilisation » peut toucher les personnes exposées d’une manière chronique aux bruits de tir. C’est une sorte d’intolérance qui s’installe progressivement et qui augmente considérablement les perturbations subjectives du bien-être !
Dans ce cas les bruits de tirs provoquent une « réaction allergique » psychologique !
N’oublions pas que le bruit a été et continue encore à être utilisé comme moyen de torture !
7) Conclusion
Les effets néfastes des nuisances sonores des tirs sur la santé représentent un véritable problème de santé publique.
N’oublions pas que pour le tabac les conséquences graves pour la santé ont été longtemps banalisées voir niées.
Il est urgent de protéger la population des méfaits sur la santé mentale, physique et sociale des nuisances sonores des tirs.
Il est temps d'alléger la souffrance infligée gratuitement à quelques milliers de riverains et amateurs de la nature.
Mais malheureusement, pour l’instant, il n’y a pas encore une véritable prise de conscience des conséquences graves des nuisances sonores des tirs qui touchent la qualité de vie et la santé des riverains des stands de tir et des amateurs de la nature, au niveau de l’armée, de l’opinion publique, des politiciens.
8) Bibliographie
- CESH (Centre d’études sur le stress humain) de l'Institut universitaire en santé
mentale de Montréal. 2019. Stress aigu VS stress chronique.
- Bon stress, mauvais stress : mode d’emploi. Dr Frédéric Chapelle ; Benoît Monié.
Editions : Odile Jacob
- Effets du bruit sur la santé. www.bafu.admin.ch
- Mesures contre le bruit de tir. www.bafu.admin.ch
- EEA, 2020, Environmental noise in Europe — 2020, EEA Report No 22/2019,
- WHO Europe, 2018, Environmental noise guidelines for the European region, World
Health Organization Regional Office for Europe, Copenhagen, accessed 7 December
2018.Noise
D'après un document de
Dr. Marius Dragos
FMH Psychiatrie et Psychothérapie